ABLA CON ELLA OU LE GENIE DE L’IDIOT
Par Améléia
Professeur de Lettres Modernes Certifiée non conforme
Une fois encore Almodovar fait mouche.
Deux hommes qui pleurent devant une
chorégraphie de Pina Bausch au théâtre, se retrouvent par un faux hasard dans
le même hôpital à veiller deux femmes aimées tombées dans le coma : une toute
jeune danseuse et une célèbre toréador. Pour ces deux femmes qui ont fait du
langage du corps un art et leur métier, la vie semble se clore sur un
interminable silence de lit.
Marco l’amant de Lydia la grande toréador, s’interroge, se lasse de cet amour,
attend et se terre devant le corps de l’amante inerte et devenu étranger ;
finalement part, l’oublie. Benigno lui – le simple (Benigno – le benêt – l’idiot )
veille obsessivement sur ce corps de danseuse qu’il a
vu danser inlassablement par la fenêtre de sa mère – et qu’il n’a jamais
touché. Il masse, parfume le corps, parle avec celle qui semble ne rien
entendre. *
Quand le premier doute d’un amour réel qui sommes toutes n’a peut-être pas existé,
le second dans la toute candeur réalise dans l’épanouissement simple le touché
et le soin d’une femme qui ne l’a jamais connu, que lui-même a épié dans le secret.
Le soin mêlé au souci sont les sens premiers de la «cura » ? La cure ici où
l’amour rare – le tout amour est (enfin !) le soin mêlé au souci.
Benigno aime et n’attend rien, soigne, et ne souffre, non pas dans
l’attente d’être aimé mais seulement de « guérir » l’être chéri. C’est tout.
Par delà ce schéma romantique, Almodovar insémine des ingrédients bien à lui:
l’image de la mère possessive, l’obsession de la maladie, du corps
mutilé et des scènes d’hôpital, le thème de la naissance illégitime et du père
proscrit avec comme thème principal, celui qui fait l’œuvre toute
entière du cinéaste non pas seulement « portrait » mais « recherche » : les femmes.
Cette fois-ci le mystère féminin est saisi à
travers l’innocence de l’idiot. Celui qui n’est pas fait pour la vie – celui à
qui l’on n’a rien donné, qui
n’a rien connu est paradoxalement celui - une fois encore - qui sans avoir rien
appris sait. Benigno comprend Alicia, reproduit les
gestes lustraux du
massage, lui parle, vit dans elle et par elle et ce faisant travaille à sa résurrection.
Benigno c’est l’image du génie en idiot, la figure du
violeur tendre à l’image des fous de Faulkner, celui qui tendrement violera
Alicia et la mettra enceinte.
Comme à l’accoutumée, Almodovar réussi t à
toucher le spectateur en lui présentant des situations inacceptables et
fondamentalement immorales. Dans « Tout sur ma mère » les femmes font des
enfants avec des travestis. Cette fois dans « habla
con ella » la naissance se fait entre une femme
plongée dans le coma et un simplet. La grâce de cette situation burlesque et éthiquement
inconcevable naît du fait que le réalisateur parvient non
seulement à décrire la pureté de l’amour de Benigno
mais en plus à peindre merveilleusement tout en le préservant le mystère
féminin. Une fois encore, la femme n’est pas dite – physiquement et
verbalement, elle n’est « pas toute », monsieur Lacan. Elle est aimée et c’est
si rare – atteinte et
comprise peut-être parce qu’aimée dans un renoncement absolu de soi – dans la
proscription de la jouissance.
L’amour Absolu
est étymologiquement synonyme d’abnégation.
Cet amour, seul l’idiot peut l’atteindre dans un don de soi qui le renvoie à la
folie
mystique des premiers baroques.
« Habla con ella » est Un
hymne au corps, à l’amour, au mystère celé des femmes, mais aussi un film dédié
aux larmes des hommes.
© Améleia - Hablo con ella - 20 avril 2002