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NERVAL ET MERCURE…

 

Par Améléia

Professeur de Lettres Modernes Certifiée non conforme

 

 

« Trois femmes travaillaient dans la même pièce, et représentaient, sans leur ressembler absolument, des parents et des amies de ma jeunesse. Il semblait que chacun eût les traits de plusieurs de ces personnes. Les contours de leur figure variaient comme la flamme d’une lampe, et à tout moment quelque chose de l’une passait dans l’autre ; le sourire, la voix, la teinte des yeux, de la chevelure, la taille, les gestes familiers, s’échangeaient comme si elles eussent vécu de la même vie, et chacune était ainsi un composé de toutes, pareilles à ces types que les peintres imitent de plusieurs modèles pour réaliser une beauté complète »

             Aurélia (VI)

   Le thème de « la morte amoureuse » est une thématique que l’on retrouve chez les écrivains du petit Cénacle « Gautier, Mérimée » mais aussi chez Poe (Ligeia, Morella).

   Derrière la répétition de la Même dans l’Autre, il y a la recherche sans cesse poursuivie, sans cesse échappée d’une figure animique  certainement maternelle, ce que représente le buste de femme à la fin du Chap VI.  Ce thème de la rose trémière est filé dans toute l’œuvre où la femme aimée est associée à une image mouvante et fuyante de la nature : « Oh ne fuis pas ! m’écriai-je…car la nature meurt avec toi » dit le narrateur à Adrienne qui est comparée à « un feu follet fuyant sur les jonc d’une eau morte ». L’écriture n’a de cesse chez Nerval de circonscrire les figures multiples pour recréer la femme unique et perdue que le désir poursuit vainement de copie en copie.

   Sans doute y a-t-il cette nostalgie régressive dans les romans d’Amélie et la tentative de recréer un îlot stable et heureux, (pré-pubertaire dans Hygiène). Sans doute peut-on y voir cet héritage romantique très souvent désacralisé du reste, mais qui demeure une réelle tentation dans l’écriture d’Amélie. Hazel annonce Juliette, idéal survivant de Léopoldine. L’espace carcéral permet au capitaine de réaliser ce qui appartient seul au rêve mélancolique. Mais l’utopie de l’île porte en elle les marques d’une contre-utopie, particulièrement dans  Mercure, les symptômes du possesseur venant rompre avec le fantasme égalitaire d’une tentation acadienne…

Celui qui veut réaliser son rêve s’expose à le briser

 Ce que je trouve génial dans Mercure c’est que l’échec du couple Hazel/Le capitaine est substitué par le couple féminin. C’est pourtant encore  le mensonge qui permet cette pérennité : le paradoxe est alors d’autant plus tragique, que l’idéal  y est heureux et communément partagé.

 L’utopie  éolienne serait-elle possible ?

L’amour stigmatisé par la morte amoureuse incarne par dessus tout un amour qui se cherche une réalité par les mots mais dont les mots constituent l’impossible demeure. La fleur incarne cet absolu féminin, inaccessible et ineffable à tel point que le langage est contraint de le contourner par la métaphore. D’où cet irréversible cliché littéraire qu’est la fleur et qui scande toute la littérature amoureuse, permet son incarnation, sa formulation.

Restez fleur et frontière

Restez manne et serpent

… écrit Char à la femme aimée.

Oui, la fleur incarne l’absolu féminin mais elle l’incarne aussi dans leur commune essence fragmentée et éphémère. Si le féminin essentiel habite au cœur d’un temps immémorial, il ne peut se vivre, à l’image de la fleur, que dans le paradoxe d’un temps fractionné.  Les femmes-fleurs de Nerval se dissolvent dans le rêve, dans « l’Homme sans Qualité », la mystique de l’Autre Etat que vivent Agathe et Ulrich dans « le voyage au paradis » n’est possible que parce que pour Ulrich, Agathe est cet « être du fragment passionnée »,. Mrs Ramsay, dans « La Promenade au phare » est « bribes et fragments » pour un époux « qui avait besoin que quelqu’un lui offrît l’occasion de s’imposer » , enfin, Rosa, dans « Absalon ! Absalon » de Faulkner  se dit « racine et pousse(..) plissée, à demie développée ». Le féminin est fragment peut-être parce que comme le dit Lacan elle n’est « PAS TOUTE » , elle se dérobe, s’offre dans l’interstice de ses manques – de sa « non qualitude » - Apparition surgie dans l’éclat d’un miracle, comme  la rose de Dante ou la petite fleur – le Myosotis qui clôt l’extase des Mémorables à la fin d’Aurélia et parle à Nerval « un doux langage étranger ». Le féminin ne semble possédable qu’à la toute fin d’une initiation mais aussi et surtout d’une initiation toute littéraire.  L’écriture d’Aurélia se clôt par une terrible conversion religieuse qui vient cerner les bornes de la culpabilité. Au fond rien n’est possédable que le ressassement d’une origine perdue, d’une mélancolie dévorante que l’œuvre de Tach ne cesse de poursuivre.

Les hommes chez Amélie Nothomb, sont rivés à ce constat. L’île du capitaine est ce rêve d’omnipotence créé par une réalité d’impuissance. Sauf pour François !

J’aimerais voir dans cette thématique de l’île omniprésente dans l’œuvre d’Amélie, que ce soit dans les régressions amoureuses de Léopoldine et Tach dans Hygiène ou encore dans l’isolement amoureusement forclos d’Emile et de Juliette, plus explicitement encore dans la Fable de Mercure – la dialectique de la gêole-berceau. En latin (PARDON !) la cellule s’apparente aussi au ciel, comme pour signifier que l’espace clos ouvre sur un espace infini. (tu parlais de mystique, mon Ange) Dans Mercure la révolte s’exprime dans cette espace forclos, le capitaine créée sa propre ruine en cherchant à circonscrire son objet. Mais la déréliction se fait l’antichambre de la passion dans la seconde fin – tout comme la charité s’inverse en Karis dans la fin des Catilinaires. Comment comprendre cela ? Les deux femmes n’ont d’autre miroir qu’elles-mêmes puisque tout autre reflet est impossible. La fascination opère : le reflet interdit, censuré par le capitaine est au contraire la condition d’une  épiphanie amoureuse et inaltérable dans la relation entre les deux jeunes femmes. La révélation de son propre visage à Hazel ne la détourne pas du visage de Françoise, pas un instant la relation ne s’établit sur un manque, l’amour passe absolument par l’irréductibilité du visage de l’autre aimée. Rivées en elles et pour elles, elles habitent cette demeure originelle recréée pour nous par la Fable absolue de l’île. L’île dessine alors un intérieur amoureux et ineffable alors qu’elle stigmatisait les affres d’une impuissance panique chez le Capitaine…Extérieure..trop extérieure… 

 

 © Améleia - tacitus amor    feminarum domui - 04 et 05/12/2001