DOGVILLE
Réalisateur et Scénariste : Lars von
Trier
Producteur : Vibeke
Windelov
Production : Zentropa Entertainments,
Distribution : Les Films
du Losange
Film italien, danois, suédois, français, norvégien
(2002). Thriller, Drame. Durée : 2h 57mn. Interdit aux moins de 12 ans
Date de sortie : 21 Mai 2003
Avec : Nicole Kidman (Grace), Paul
Bettany (Tom Edison), Patricia Clarkson (Vera), Jeremy Davies (Bill
Benzen), Siobhan Fallon (Martha), Chloë Sevigny (Liz Benzen),
Ben Gazzara (Jack McKay), Lauren Bacall (Ma Ginger), Stellan
Skarsgard (Chuck), Philip Baker Hall (Thomas), Blair Brown (Mrs.
Henson), Philip Baker Hall (Tom Edison Sr.), Harriet Andersson (Gloria),
Zeljko Ivanek (Ben), John Hurt (le narrateur – voix), Jean-Marc
Barr (un gangster), James Caan (le parrain), Udo Kier (l’homme
au manteau), Cloeo King (Olivia)
Dans les années trente, des coups de feu retentissent un
soir dans Dogville, une petite ville des Rocheuses. Grace, une belle femme terrifiée,
monte en courant un chemin de montagne où elle fait la rencontre de Tom, un
jeune habitant de la bourgade. Elle lui explique qu'elle est traquée par des
gangsters et que sa vie est en danger. Encouragée par Tom, la population
locale consent à la cacher, en échange de quoi Grace accepte de travailler
pour elle.
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Lorsqu’on arrive sur DOGVILLE, comme Dieu sur
la terre, on est dépaysé tout d’abord, car on ne s’imaginait pas à quel point
c’était finalement dérangeant de pouvoir tout voir.
Pour les habitants de la ville, tout se passe comme pour n’importe
quel citoyen. Mais le spectateur ne connaît plus la barrière des murs. Plus
rien ne se dresse devant son œil voyeur. Et il est là pour voir. Lars von trier
INVITE le regard du cinéphile à être le témoin d’une communauté qui va tenter
d’évoluer. Durant un an de vie, en neuf chapitres. On peut s’imaginer qu’il
s’agit d’une année de neuf mois, une année durant laquelle la portée sera
douloureuse et pleine de concessions ; qui mènera peut-être au plus beau
des accouchements. (Après, c’est une question d’interprétation).
Grâce arrive à DOGVILLE en voulant échapper à quelque chose que
l’on ignore. Personne d’ailleurs ne cherche à savoir. La seule question que se
posent les habitants de la ville est : « est-elle dangereuse
pour nous ? » Et la seule façon de vérifier si effectivement elle
l’est, tout en ignorant son passé, c’est de vivre le présent avec elle. Elle
doit donc vivre un quotidien Dogvillois, pendant 15 jours où elle aura pour
mission d’acquérir la sympathie et la confiance de tous. Ils finiront par lui
accorder non seulement leur confiance et leur sympathie, mais aussi leur
protection.
Mais l’être humain en tant que tel, n’accorde sa protection qu’en
échange du pouvoir. Peu à peu, la ville entière affirmera son pouvoir sur
l’étrangère : « je te protège, mais tu fais ce que je désire »
puis « je te protège, mais je fais de toi ce que je veux » et ensuite
« nous te protégeons, mais tu nous appartiens ». Si bien qu’elle
gagne d’abord la confiance des Dogvillois en faisant de menus travaux tout
d’abord, en se faisant exploiter, violer, humilier ensuite, et finit par être
enchaînée comme le chien.
Comme la vérité sort toujours de la bouche des enfants, le petit
morveux à qui l’on a tout toléré depuis sa naissance lui crie un jour haut et
fort qu’il peut-être très méchant et qu’il doit être puni. La punition est donc
réclamée par un enfant, à la seule femme qui pourrait bien se
permettre de la donner à la ville entière, et le môme l’obtiendra, car lui
aussi tient Grâce à sa merci. Grâce est la grâce même, elle est le pardon
personnifié. La parole du Christ, le martyr que l’on rêve de voir fusillée en
place dogmatiquement publique. C’est la petite dernière à qui l’ont ne donnera
jamais les mêmes droits qu’aux autres, tant qu’elle sera toujours la dernière
arrivée.
Elle aussi aura droit à sa punition d’enfant. Cette scène où
l’autre folle lui dit : « je casse deux figurines d’abord, et si tu
arrives à te retenir de pleurer, à rester stoïque, j’en resterai là ».
C’est à mes yeux la plus terrible de toutes les scènes. « Accepter
de perdre un peu, ou bien tout perdre ».
Le réalisateur explore donc tout au long du film les relations et
phénomènes de groupe ; le pouvoir et puis… l’arrogance. Son père lui dira à
la fin, dans un dialogue magnifique, enfin clos et donc de notre monde (et
étonnamment terre à terre ! réaliste !) : « un chien malgré
sa nature, cessera de commettre des fautes si l’ont cesse de les lui
pardonner » (oui bon, c’est pas la phrase exacte..). Et c’est vrai !
Tout le monde est arrogant dans ce film. La ville entière, l’étrangère, le
père. Mais face à une ville entière, et se trouvant sous la protection de
celle-ci Grâce a dû taire sa propre arrogance.
Après ce somptueux dialogue, Grâce réalise qu’elle a vécu un an
avec des gens dont le défaut principal était précisément celui qu’elle avait
reproché à son père, et qui avait causé sa fuite ; et elle réalise
d’autant plus la souffrance de cette année passée à DOGVILLE. Alors pendant un
moment, la spectatrice que je suis se tâtonnait… « si elle revient dans la
ville, le film est foutu » « il faut qu’elle tue tout le monde… mais
comment réaliser une telle fin sans que le film ne tombe dans la scène d’action
hollywoodienne banale ? non le film serait raté aussi.. ; mais mon
dieu que je voudrais qu’elle les tue… »
Et oui : Elle les fait tuer un par un, et le plus
douloureusement possible. Elle décide d’obtenir et de savourer cette vengeance
antéchristique flamboyante et magnifique car ses deux joues se sont bien trop
longtemps renvoyé le privilège de recevoir la sainte gifle. Et mon dieu que
c’est bon la vengeance !
Elle tue elle-même celui qui fut à la fois son sauveur et sa
perte, celui qui se prétendait expérimentateur des phénomènes de groupe, garant
de sa protection, garant de sa liberté, de son bien être.. et qui ne rêvait en
fait que d’une chose : qu’elle se DONNE à lui sans que son
éventuelle carrière n’ait à pâtir du fait qu’il l’ait PRISE,
comme les autres. Il voulait qu’elle se DONNE en remerciement.
Seule le chien sera épargné : car c’est le seul qui aurait eu
le droit de se plaindre de s’être vu privé de son os. Mais on ne lui a pas
permis de le faire. Seule le chien lui ressemble, car comme elle, dès le début
du film il est prisonnier.