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L’AMOUR EXISTE

Maurice Pialat

 

Date : 1960

Films de la Pléiade. 22 min.
Réal. et comm. : Maurice Pialat.
Prod. : Pierre Braunberger
Photo. : Gilbert Sarthre, assisté de Jean Bordes-Pages.
Commentaires dits par Jean-Loup Reinhold.
Mus. : Georges Delerue.
Montage : Kenout Peltier assisté de Liliane Korb.
Dir. de prod. : Roger Fleytoux.
Assistant réal. : Maurice Cohen.

 

 

Dans ce court-métrage, Pialat nous présente la banlieue. Les rues sont désertes au petit matin. Il plante un paysage triste et calme ; apparemment sans âme. Cette phrase résonne un peu plus tard : « la banlieue triste qui s’ennuie défile grise sous la pluie ». Dès le début il est impossible de ne pas savoir de quoi veut nous parler Pialat. « Longtemps, j’ai habité la banlieue ». Servi par une voix tranchante (celle de Jean-Loup Reinhold) prononçant un discours sans concession, la peinture se dévoile doucement à l’écran. Pialat ne décrit pas la banlieue, il la peint. Le texte magnifique écrit par Pialat nous laisse suspendu dans le temps, un temps qui perdure et dont le réalisateur nous invite à être le témoin. Durant 22 minutes le spectateur est plongé dans la misère de la banlieue : celle d’hier, celle d’aujourd’hui. Si misère ne se négocie pas et reste partout et toujours la même : alors pourquoi négocier le ton ?

 

Maurice Pialat nous montre les gens qui se déplacent en masse, qui forment la masse soumise des travailleurs résignés, courant vers leur besogne. Les premiers plans de la foule montrent un croisement incessant d’humains au visage fermé. Ils semblent tous venir du même endroit, pour aller dans un même lieu, empruntant un seul chemin via des moyens identiques. C’est un flot interminable de passants, quotidien, qui s’engouffrent dans des boîtes roulantes. Ensuite, c’est le paysage de la banlieue qui défile, vide, calme. Vide parce que pour posséder la banlieue la nuit, il faut la quitter chaque jour - du matin au soir. La vie défile donc derrière les vitres du train de banlieue, cette vie promise qu’on va pourtant chercher ailleurs car « l’ennui est le principal agent d’érosion des paysages pauvres ». Et la voix de résonner encore sur ces derniers mots !

Le réalisateur arrive parfaitement à recréer l’ambiance des 10 moments les plus vifs en matière de communication entre la banlieue et Paris. 5 matins et 5 soirs par semaine, c’est un va-et-vient incessant. C’est parfaitement illustré à l’écran, notamment lorsque la caméra se trouve plantée au bout d’un quai et que deux trains se croisent à tour de rôle. Ainsi l’échange est fait. Le contrat est rempli dans la réalité comme dans le virtuel. L’image a donné le change à la parole de Jean-Loup Reinhold.

 

[…] « les cartes de géographie […] éveillaient le désir de voyages lointains, mais entretenaient surtout leur illusion au sein de nos paysages pauvres ». Pialat parle au nom de ses propres souvenirs, de sa propre enfance. En effet dès le premier âge on entretient des rêves, des illusions. Au sein des jardins publics, Pialat nous montre un plan terrible : celui des enfants jouant à la queue-leu-leu sur les toboggans. C’est le schéma exact  du système social qui sévit dans la banlieue : « métro, boulot, dodo ». On discipline dès l’enfance. L’adulte se contente ensuite d’obéir et d’avancer les yeux fermés . Tout autour des habitants la banlieue pousse elle aussi. On cultive la pauvreté, la misère. On sème un engrais asservisseur. On fait pousser surtout ce dans quoi on est censé vivre : des cités qu’on vend sur plans en oubliant de préciser la superficie des pièces et la largeur des fenêtres, meurtrières horizontales incrustées dans des murs pour Playmobiles.

La banlieue censée agrandir Paris n’en est qu’une pâle copie destinées aux serviteurs, aux intrus, aux parvenus auxquels on vendra l’illusion d’être propriétaire, de posséder, tout en les écartant au maximum de la grande ville, en les laissant en marge. Ils ne seront pourtant propriétaires que de pacotilles, de préfabriqués. Acquérir un terrain devient le but de chacun. Un système de parcellisation des lots rend la chose plus facile dans les années soixante. Les zones pavillonnaires poussent elles aussi à grande vitesse car il est possible désormais d’acquérir un demi-terrain, la version LEGO du terrain. Mais le banlieusard semble s’accommoder faute de mieux. C’est en effet « la folie des petitesses. Ma petite maison, mon petit terrain, mon petit chez moi. » S’accommoder n’est pas le mot : l’habitant de la banlieue est rempli d’illusions, et de fierté. Trop pour se plaindre des tout nouveaux privilèges qu’il peut s’offrir, si petits soient-ils.

Sur le mode du documentaire, Pialat nous montre ce que l’on possède à l’intérieur de ces maisons de la banlieue Est : on possède tellement peu de choses précieuses que la moindre valeur se verra épargner l’utilisation quotidienne, et aura droit à son coffre fort en pin verni bon marché. C’est cette image, qui illustre le mieux la nature documentaire du film, celle où la ménagère ouvre lentement le buffet de la « salle à manger »1, pour montrer le service de porcelaine. Bien sûr, ce genre de chose ne sert qu’en de grandes occasions, elles-mêmes peu nombreuses faute de moyens. Le reste du temps, on mange « à la cuisine »2.

 

Comble de l’absurdité : on construit même les maisons en sortie de piste des aéroports. Pourtant, un grillage sépare encore les banlieusards du grand voyage. Des avions, on n’en subit que l’inconvénient : le bruit. Un agent immobilier honnête vous avouera que c’est le seul endroit à ce point pourvu de nuisances qu’il est tout autant dépourvu de valeur. Par conséquent, c’est le seul bout de terre qu’un ouvrier de la banlieue peut acquérir.

Comme sur les boites aux lettres des cités, l’individu n’est qu’un numéro de plus ajouté à la pile : mais pour avoir ce privilège encore faut-il correspondre à la bonne catégorie sociale. Habiter du bon côté de Paris n’est pas donné à tout le monde. « On ne choisit pas, on NOUS choisit ».

 

En banlieue, le travailleur n’aspire qu’à la tranquillité. Il travaille et gagne sa vie en prévision du temps où il pourra se reposer. « La vieillesse pour seule récompense, payé pour ça, pour être vieux ». Terrible constat, atroce vérité !  « Le travail [fut] une délivrance » et la vieillesse en est une autre.. Les gens de la banlieue n’ont pas le même destin que les gens nés dans la capitale, ils sont né « quelques kilomètres de trop à l’écart ». Là où les statistiques dénoncent affreusement le manque de moyens mis à la disposition de ces gens écartés : Je ne rappellerai qu’un seul chiffre, scandaleux par rapport à la population y vivant là : Lycée dans les communes de la Seine : 9. A Paris : 29. On ne naît pas tous avec les mêmes chances certes, mais le comble est de naître avec aucun espoir d’en avoir !

 

A l’Ouest de la Capitale, il existe pire encore. Plus proche de la richesse : la pire des pauvretés.

Un terrible plan résume là encore la situation : cet immigré dos à sa fenêtre, à travers laquelle le seul paysage offert est un mur placardé d’une affiche publicitaire pour produit de luxe : une femme montrant fièrement un gros joyau ornant sa main. A 3 kilomètres des Champs Elysées, la richesse et la pauvreté n’ont jamais été aussi honteusement proches l’une de l’autre. Ces gens qu’on a fait venir pour reconstruire la France n’ont rien. Ils vivent avec leurs enfants dans des Bidon-villes, du côté de Nanterre.

 

Le rôle du regard dans tout cela est très important. Pialat le dit clairement à la fin du court métrage. Si en tant qu’habitant de la banlieue il est difficile de se plaindre faute de comparaison, pour un Parisien il est difficile de plaindre ce qu’il est plus aisé d’ignorer. « Un simple changement d’angle y suffit ».. en tant que caméraman, et réalisateur de Génie. C’est un magnifique tour de main que nous offre ici Pialat. En effet, la main qui ordonne et crie victoire, peut implorer à son tour. Morale du film ? Invitation à la culpabilisation ? à la prise de conscience ? D’une main de Maître et avec beaucoup de style Pialat nous enseigne deux choses : que tout peut être invisible aux yeux des privilégiés, et que les privilégiés pourraient en un tour de main devenir démunis.. par un simple changement de point de vue. Il suffit parfois de regarder ailleurs, ou d’orienter son regard de façon à ne pas être inquiété du pire.

 

Ainsi, ce que pourrait dire Pialat aujourd’hui ? que sur le même hectare on empile un centre commercial, un cimetière, un chenil, une maison de retraite et… par dessus encore tout enchevêtrés :  un autoroute et des chemins de fer ; de quoi quadriller le tout. C’est ainsi. Bien construit, bien pensé. On entasse au même endroit ce qu’il y a de plus disgracieux, de plus gênant.

Et si un train peut en cacher un autre, les forêts ne peuvent plus cacher le béton.

 

Lorsqu’on habite la banlieue au fond, on ne peut être choqué des conditions dans lesquelles on vit tant que l’on a pas vu d’autres horizons. Pour se révolter de ce que l’on a il faut pouvoir comparer avec ce que l’on a pas.

 

Partie de la banlieue où j’ai grandi, j’ai trouvé le chemin de l’Auvergne (tout près de Cunlhat). Par la gare de Lyon puis le train de Pantin, je suis revenue dans la banlieue Est et rien n’a changé. On y croise les mêmes visages fermés qu’en 1960. On y entasse les mêmes bâtiments, toujours plus nombreux et plus hauts. Seule différence entre hier et aujourd’hui : personne ne fait plus attention à tout cela.

 

Léthée Nevermind – N’hésitez surtout pas à poster vos commentaires, j’en ai besoin ! dites moi si vous avez eu envie ou non de voir ce court-métrage, ce que vous en avez pensé, ce que vous avez éprouvé à la lecture de mon article. Soyez vous aussi, sans concession !

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