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LA MAUVAISE EDUCATION

Pedro Almodovar

 

 

Réalisateur et scénariste :  Pédro Almodovar

Producteur :                    Augustin Almodovar

Distribution :                    Pathé Distribution

 

            Film espagnol (2003). Drame. Durée : 1h 50mn. Interdit aux moins de 12 ans

         Date de la sortie : 12 mai 2004

            Avec Gael Garcia Bernal, Javier Camara, Fele Martinez, Daniel Gimenez Cacho, Lluis Homar 

 

 

 

 

 

Le dernier opus d’Almodovar a une particularité fort nouvelle : au lieu de parler des femmes, il parle des hommes. Le sujet : deux jeunes garçons internés dans une école catholique franquiste d’Espagne dans les années 70 découvrent ensemble les jeux de l’amour, au masculin. Ils ont alors 10 ans, et un témoin fort gênant (Il s’agit du Père Manolo, leur professeur de Littérature. ) viendra se mêler à eux : pour les séparer mais aussi pour son propre profit. Ils se retrouvent ensuite à l’initiative d’Ignacio. Enriquee étant devenu cinéaste, Ignacio lui propose de réaliser la nouvelle qu’il a écrite en pensant à leur enfance, et à leur amour.

 

Beaucoup de critiques tendent à dire que Pedro Almodovar s’attaque avec ce film au sujet des prêtres et de la pédophilie. Ayant fait une petite étude personnelle sur ce  sujet (http://aleteya.free.fr/pretres.html), je pense être bien placée pour dire qu’au contraire dans ce film, il ne s’agit pas de cela, ou en tout cas pas seulement et donc pas assez pour se permettre de dire que le réalisateur profite d’un sujet commercial !

 

Ce qui m’a d’abord frappée dans ce film, c’est le thème des limites : les limites de manière générale. Elles semblent être cherchées, convoquées, franchies, bafouées, etc.. quelqu’un m’a dit, à cette réflexion : « ou bien il s’agit de l’impossibilité à fixer des limites ? » Mais j’ai envie de répondre : on ne parlerait pas des limites si elles n’étaient pas franchies continuellement !

Il ne semble plus y avoir de frontières en effet, la mise en abîme est quelque peu déroutante, (où est le vrai ? le faux ? comment définir ici le réel de la fiction ?), les hommes se travestissent, les professeurs-prêtres (de quoi mettre deux débats dans le même panier !) tombent amoureux de leurs élèves, les frères passent de l’amour à la haine, puis à l’amour pour le bourreau de leur frère, au meurtre, et à la substitution au frère dans la fiction comme dans le réel ! Le réalisateur a choisi pour ce film un système de narration très complexe et pourtant très réussi puisque le spectateur est comblé : l’histoire c’est le souvenir d’Ignacio, celui d’Enrique, la nouvelle d’Ignacio, le film d’Enrique, le souvenir du Père Manolo.. Il y a bien longtemps que je n’avais vu un jeu de miroirs aussi bien filmé, bien loin des clichés américains !

 

De plus, Almodovar fait pas mal de clin d’œil au cinéma, notamment en reprenant la forme du polar mené par une intrigue amoureuse, un meurtre.. (tout bascule au moment où les assassins se retrouvent dans un musée « des masques » - n’est-ce pas dans les films d’horreur que les assassins sont toujours masqués ?), on verra l’affiche française de « La bête humaine » de Jean Renoir. Enfin et de plus en plus dans ses films, le rire sera convoqué. Les situations burlesques sont mariées aux faits les plus dramatiques : c’est du grand art !

 

IL y a cette chanson (parmi les excellentes musiques de cette bande originale), « je voudrais que Dieu me dise où est le bien, ou est le mal ? je veux savoir.. ». Pendant que le prêtre-professeur joue la mélodie à son élève il le désire ardemment et physiquement.. est-ce Dieu alors qui donne sa réponse en la personne du prêtre, lorsque celui-ci viole l’enfant ? C’est ensuite l’histoire d’une vie qui va se scinder en deux parties, se travestir, repousser les limites les ignorer ou bien les refouler : au choix. Les identités sont doubles, les personnages trahissent, jouent la comédie. C’est du prêtre que part toute cette histoire fabuleusement scandaleuse, et c’est par lui qu’éclatera la vérité. Tout le monde est puni, tout le monde perd ce qu’il chérit ou envie : le bourreau (le père Manolo), la victime (Ignacio), le témoin(Enrique), le travesti(Juan/Ignacio). Le bourreau d’abord crée une sorte de monstre : un jeune garçon (la victime) qui deviendra travesti, junkie, et bourreau à son tour de son propre bourreau (chantage alimentaire). Le frère qui n’a de cesse de protéger la victime se retrouvera bourreau, puis victime à son tour car il perdra tout. La victime… mourra. Le témoin.. sera marqué, et perdra l’illusion d’un souvenir resté intact jusqu’alors : il découvrira au contraire la mort immonde d’un homme qui n’a cessé de l’aimer.

 Juan prend la place de son frère défunt, vient séduire le premier amour de celui-ci, et va jusqu’à jouer son rôle dans un film où il devra mourir comme est mort son frère… ou plutôt comme il a tué son propre frère. Il va jusqu’à revivre l’assassinat qu’il a lui même organisé pour le personnage qu’il a lui même tenu à jouer. Jusqu’où va l’amour ? La haine ? La cupidité ? La curiosité ? ou bien.. tout simplement l’obsession ? l’absence de culpabilité ?

(L’obsession du Prêtre est censée être Jésus. La réflexion que je me suis faite alors en réfléchissant à ce film génial, est que si plus de 80 % des actes pédophiles commis par des prêtres sont dirigés sur des enfants de sexe masculin, ne peut-on pas y voir l’adoration et le désir exacerbé pour Jésus ? Plutôt que de faire l’amalgame entre homosexualité pédophilie et prêtrise, on ferait mieux de prendre le problème à l’inverse..)

Parlons de l’homosexualité. Pédro Almodovar on le sait, a souvent mis en scène les travestis. Ici, nous rencontrons non seulement des travestis, mais surtout des homosexuels. Tous les hommes sont homosexuels. Et bien même si ce film n’est pas une entrée en matière idéale pour découvrir l’œuvre du réalisateur, on peut affirmer pour le moins qu’il sait aussi bien filmer les hommes que les femmes, et qu’il sait par ailleurs et surtout filmer (rappelons-le, c’est un film pour grand public) l’homosexualité masculine dans son intimité. C’est très bien filmé, il rend cette sexualité belle et simple. C’était tout à fait inattendu. (J’ai vu dernièrement un court-métrage racontant une scène d’amour entre deux lesbiennes en pâte  à modeler : croyez-moi ou non : j’ai été choquée par la pâte à modeler, mais pas par Almodovar filmant la fellation entre hommes !)

En somme, Almodovar réussit un pari difficile : parler de la religion, de la quête (la perte ?) d’identité, de l’homosexualité, de pédophilie, d’éducation.. tant de sujets actuels et brûlant qu’il arrive à faire passer sans difficulté, tous ensemble, sur des musiques sublimes un fond noir et un peu d’humour. En bref : allez voir ce film, c’est une merveille de plus dans la collection du réalisateur. Une fois de plus son talent nous prouve à quel point il peut être simple de voir et parler de choses difficiles.. en y prenant beaucoup de plaisir !

 

Léthée Nevermind – le 14 mai 2004

 

 

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