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Milan Kundera ignoré à Prague
par Carole Vantroys
Lire, juin 1997
Milan Kundera ignoré à Prague
Le plus célèbre des écrivains tchèques serait-il
l'écrivain le moins connu de ses compatriotes? C'est en tout cas ce que laisse
entendre le magazine Tyden du 17 avril dernier titrant en couverture, à
l'occasion de la sortie dans la République tchèque de La valse aux adieux: «Qui
est Milan Kundera?» Dans un long dossier de dix pages, l'hebdomadaire met
l'accent sur ce paradoxe: sept ans après la «révolution de novembre», seuls
quatre livres de Kundera ont été publiés dans la toute jeune République.
Autrement dit, aujourd'hui encore ni La vie est ailleurs, Le livre du rire et
de l'oubli et L'insoutenable légèreté de l'être, écrits en tchèque et publiés
par Sixty-Eight Publishers, la maison d'édition des exilés à Toronto, ni La
lenteur, L'art du roman et Les testaments trahis, tous trois écrits en
français, ne sont disponibles pour le lecteur tchèque. L'œuvre de Kundera
serait-elle réservée à ce «public étranger snob» (sic!) qui semble tant
l'apprécier? Une chose est sûre, l'écrivain se montre extrêmement pointilleux
en ce qui concerne le contrôle de son œuvre, au point d'avoir défendu en 1990
la publication et la représentation de sa pièce Ptakoviny («Les blagues») que
le dramaturge Zdenek Horinek souhaitait mettre en scène à Prague. Quant à la maison
d'édition Votobia, coupable d'avoir édité sans l'accord de l'auteur un
entretien intitulé «Je suis obsédé par le numéro sept», paru en 1984 dans le
magazine américain Paris Review, elle s'est vu accuser de «manque de
professionnalisme» et d' «impolitesse» dans le quotidien Lidove Noviny du 1er
février dernier. De l'ignorance au malentendu le pas est vite franchi...
D'autant que le public tchèque comprend mal l' «amnésie» de l'écrivain qui
refuse toute réédition de ses textes des années 50, dont certains, comme les
poèmes «Les confessions de Noël» ou «Le dernier mois de mai», font partie de la
littérature stalinienne tchèque. Comment interpréter cette attitude? Refusant
par principe toute médiation journalistique, Kundera oppose le silence à ses
détracteurs. La réponse se trouve sans doute dans L'art du roman où l'écrivain
affirmait en 1986: «Le romancier n'a de comptes à rendre à personne, sauf à
Cervantès.»